mardi 2 juin 2009

Antoine Brunet, économiste chez Lazard Frères Gestion, livre à AOF sa vision de l’économie chinoise.

Agence Option Finance : Quelle est votre vision de l’économie chinoise ?

Antoine Brunet : Tout d’abord, il faut bien comprendre que la Chine représente, non pas 5% mais 15% du PIB mondial. Son poids est désormais plus important que celui de la zone euro. L’erreur à éviter, c’est de convertir en dollar le PIB de la Chine en yuan sur la base du taux de change courant de 7,46 yuans pour un dollar. Celui-ci est monstrueusement sous-évalué. La parité équilibrante que retient le FMI est 1,96 yuan. Sur cette base, le PIB de la Chine converti en dollar est beaucoup plus important. Deuxième point : la croissance de l’Empire du Milieu ne se réduit pas, et de loin, à l’excédent colossal et croissant de son commerce extérieur. La demande interne est également très dynamique, tirée par d’importants investissements en infrastructures, en équipements industriels, mais également en logements. Enfin, la consommation des ménages, elle-même, est sans doute plus dynamique qu’il n’est admis.

AOF : Comment expliquez-vous l’”insolente” réussite économique chinoise

Antoine Brunet : Il est impossible de rendre compte de cette réussite sans prendre en compte la stratégie chinoise qui a réussi à imposer à ses partenaires un yuan extrêmement et durablement sous-évalué. Cette sous-évaluation du yuan a permis à la Chine de rendre compatibles un excédent commercial jamais vu dans l’histoire moderne des grandes nations avec une croissance forte de sa demande interne. Pour maintenir cette sous-évaluation, la Chine achète quotidiennement un montant important de devises contre yuans.

Les autorités chinoises ont certes enfin accepté depuis juillet 2005 une réévaluation très graduelle de leur monnaie, mais seulement sous la pression du Congrès américain. Dans l’anticipation de la poursuite de cette appréciation, des capitaux en provenance de la diaspora chinoise sont venus, ou revenus, du dollar vers le yuan. Une fois revenus sur le yuan, ces capitaux ont préféré s’investir à la Bourse de Shanghaï plutôt que de moisir en dépôts bancaires en yuan qui sont très mal rémunérés (rémunération inférieure à 3% l’an quand l’inflation dépasse 6% l’an).

C’est cette impulsion qui a fait décoller la Bourse de Shanghaï à partir de fin novembre 2005 (quatre mois après le depegging). Une fois la hausse amorcée, une partie croissante de l’énorme épargne chinoise a commencé à son tour à se déplacer des dépôts bancaires vers la Bourse de Shanghaï, amplifiant la hausse de semaine en semaine. L’indice de la Bourse de Shanghai a ainsi plus que quintuplé au cours des deux dernières années tandis que le price/earnings ratio passait de 15 à 70 : on est manifestement entré dans une phase de bulle.

AOF : Pourquoi jusqu’à présent les autorités chinoises sont intervenues si mollement face à cette situation?

Antoine Brunet : Les autorités chinoises sont conscientes des risques liés à la bulle, mais il est frappant de constater qu’elles n’ont que très peu sollicité l’arme essentielle pour la combattre, à savoir une hausse significative des taux d’intérêt. Les autorités craignent qu’en relevant leurs taux, elles n’attirent davantage de capitaux en provenance de la diaspora chinoise, avec le risque de perdre le contrôle du yuan et d’accentuer son appréciation. Elles sont en réalité confrontées à un conflit d’objectif entre leur volonté de maintenir le yuan bon marché et celle de combattre la bulle. A l’heure actuelle, elles accordent manifestement la priorité au premier objectif. Cette bulle va s’enfler encore tant que les taux d’intérêt ne seront pas relevés plus significativement.

AOF : Quels facteurs pourraient pousser les autorités à agir ?

Antoine Brunet : La Chine s’est placée dans la même configuration que le Japon en 1987-1989 : en dépit d’une bulle sur le Shanghaï, elle refuse de monter son taux directeur pour maintenir un yuan faible tout comme le Japon, en dépit d’une bulle sur le Nikkei, refusait de monter son taux directeur pour maintenir un yen faible. En 1990/1991, le Japon avait réagi d’autant plus violemment qu’il avait réagi tardivement. Ce qui a fini par enclencher la hausse, brutale et ravageuse, du taux directeur de la Banque du Japon, ce fut une accélération sensible des prix et des salaires.

Les autorités chinoises à leur tour pourraient être poussées à agir sur le taux de la Banque Populaire de Chine par la surchauffe de leur économie et par l’accélération des prix et des salaires. Mais plus la Chine tarde, plus elle sera contrainte d’agir violemment sur son taux directeur. Nous serions alors en risque d’un schéma de krach boursier analogue à celui subi par le Japon entre 1989 et 1992 (ce krach avait lui-même induit une crise bancaire, une récession prolongée, une forte hausse du chômage et une baisse prolongée des prix à la consommation).

Si la Chine effectuait un remake du Japon 89/92, son rythme de croissance se réduirait brusquement, ce qui se répercuterait sur l’économie mondiale et en particulier sur l’évolution du prix des matières premières.

Source : Copyright 2007 AOF